Estienne ILLAIRE, le destin d’un protestant pris dans une assemblée clandestine

Le 12 octobre 1686, l’intendant du Languedoc, Nicolas de LAMOIGNON de BASVILLE, prononce huit condamnations à mort. Parmi les condamnés, nous trouvons Jean ENTERRIEU et Etienne ILLAIRE un modeste serrurier du village d’Aulas dans le Gard. Ils sont condamnés «à être pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive à une potence qui pour cet effet sera dressé à la place publique dudit lieu d’Aulas ayant été par un préalable appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour la révélation des complices … ».

Quelles sont les raisons de ces condamnations ?
Dans les archives de l’Intendance du Languedoc, nous trouvons la procédure judiciaire qui aboutit à ces sentences. La lecture des interrogatoires des accusés et des témoins va nous apprendre le déroulé des faits.

Etienne ILLAIRE a été fait prisonnier dans la nuit du 6 au 7 octobre par le curé de Saint-Bresson, accompagné par quelques uns de ses paroissiens. Il portait sur lui un couteau. Il a été arrêté parce qu’il passait à travers champs pour éviter les patrouilles, mais surtout parce qu’il revenait d’une assemblée du Désert qui a très mal tournée.
Les assemblées du Désert
Entre 1660 et jusqu’à la Révocation d’octobre 1685, le pouvoir royal prend de nombreuses mesures visant à réduire la place des réformés dans la société : interdiction de certaines fonctions publiques, de métiers, fermeture et destruction des temples, plaintes des catholiques qui sont toujours traités avec beaucoup de bienveillance… Dans ce contexte répressif, Aulas, place forte du protestantisme local, devient la dernière paroisse de la région à conserver son Temple. Au cours d’une séance, le consistoire décide de prêter le Temple aux réformés des villes et villages voisins, qui n’ont plus de lieu pour célébrer leurs offices. Avec l’hébergement de deux compagnies de dragons, les réformés d’Aulas abjurent en masse et quelques uns prennent le chemin de l’exil. Parmi ceux qui abjurent, Etienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU. Il n’y a donc officiellement plus de protestants en France.
Mais si les habitants d’Aulas ont renié la foi de leurs pères, leurs cœurs restent à leur religion d’origine. Comment vivre sa foi après avoir vécu ce traumatisme ? Comment vivre sa foi alors que les pasteurs se sont convertis ou se sont exilés ?
Passé le choc de la Révocation, certains ministres sont revenus de l’exil et commencent à tenir des prêches dans des endroits reculés. C’est que l’on appelle des assemblées du Désert. Aulas, au pied de l’Aigoual, est un lien de réunion idéal. Une première assemblée est découverte le 6 août 1686. Il y a treize arrestations dont le prédicant, Antoine ROCHER qui est envoyé aux galères, conformément à l’article IV de l’édit de Révocation. Etienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU ont-ils participé à cette assemblée qui a réuni 200 personnes ? C’est probable mais c’est deux mois plus tard que l’on découvre son histoire.

Un autre prédicant tient une assemblée dans un endroit reculé, situé sur la paroisse de Roquedur. L’assistance est nombreuse. Les documents nous disent qu’il y avait 2000 personnes. Un rassemblement aussi important est connu par les autorités qui mobilisent les dragons et le curé de la paroisse catholique voisine de Saint-Bresson. Les témoignages du curé, des prisonniers et des soldats nous apprennent le déroulement de l’assemblée.
La découverte de l’assemblée
C’est un peu une opération commando qui est monté, pour surprendre d’assistance. Pour s’approcher, des soldats s’habillent en paysans. Puis, les dragons égorgent une première sentinelle. Une deuxième sentinelle est tuée. C’est une troisième sentinelle qui donne l’alerte au pasteur et à l’assistance.. S’ensuit une mêlée confuse. Des hommes tirent sur les soldats. Le capitaine des dragons est mortellement blessé d’un coup de feu. Son frère meurt quelques jours plus tard, des suites de ses blessures et un autre soldat est gravement blessé d’un coup de baïonnette. Avec ces coups de feu, l’assistance se disperse et dans l’obscurité, les soldats et les miliciens catholiques des paroisses voisines, essaient d’arrêter le plus de participants possible. Etienne ILLAIRE fait partie des hommes qui sont arrêtés.
Durant son interrogatoire, il niera avoir incité les gens à venir à cette assemblée. Il reconnaitra simplement être tombé par hasard sur cette assemblée. Deux jeunes femmes d’Aulas, dont il reconnaît que ce « sont des filles d’honneur et de probité », vont cependant témoigner qu’ Estienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU les ont incités à venir. Pour le juge, cela montre que les deux accusés ont eu un rôle actif dans cette assemblée.

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Les autres condamnations

Et même s’il n’y a aucun indice permettant de dire qu’ils faisaient partie de ceux qui ont tiré sur les dragons, ces témoignages suffiront pour qu’ils soient condamnés à mort après avoir été torturé pour révéler le nom de leurs complices. Cette même peine sera appliquée à des femmes d’une autre ville.
La mort de plusieurs soldats et la désobéissance aux édits du Roi expliquent la sévérité de la condamnation. Pourtant le prédicant n’incitait pas à la révolte. L’un des prisonniers, un jeune noble qui reconnaît sa participation, rapporte les propos du Ministre. Il dit à l’assistance, qu’il fallait « obéir, aller à la messe et garder dans son cœur sa religion».
Outre la pendaison, leurs biens sont « acquis et confisqués au profit de sa Majesté distrait la troisième partie pour leur femme et enfants et ont l’amende de 300 livres … au paiement des frais et dépens de justice et attendu qu’il résulte du procès que ladite assemblée a été tenu au terroir de Roquedur … que le seigneur dudit lieu soit condamné à 500 livres d’amende ».
La dureté de la répression aura des conséquences immédiates : le départ de milliers de protestants pour l’étranger (Suisse, Provinces-Unis, Angleterre…), Mais elle aura aussi des conséquences plus lointaines. Si ceux qui ont abjurés en 1685 ont fait profil bas et se sont soumis au pouvoir royal, leurs enfants se sont révoltés face à tant d’injustices, provoquant une terrible guerre civile au début du 18ème siècle. Le juge Jacques DAUDE sieur de la Coste (qui condamna Etienne ILLAIRE et ses compagnons), comme l’abbé du Chaila,  qui furent des instruments zélés du pouvoir royal et de la répression dans les Cévennes, mourront tous les deux assassinés au début du 18ème siècle.

Frédéric DELEUZE – cfd@genealogiste.com.fr