Un drôle de curé
Dans le nuit du 24 au 25 décembre 1746, Pierre BRUN, curé d’Orthoux est arrêté et emprisonné dans la prison du fort de Nîmes. Il est accusé d’avoir contrevenu à l’édit de mars 1697, aux déclarations du Roi du 15 juin 1697 et du 14 mai 1724 (notamment l’article 15) ainsi que l’ordonnance du 18 novembre 1745 sur les mariages des Nouveaux Convertis.
Ce qui attire l’attention des autorités, c’est le mariage en février 1746 de deux nouveaux convertis, le sieur Guillaume TERSON de LASSALLE fils de noble Abel de TERSON, seigneur de Paleville, et de dame Marie de la BROUE de Soreze, diocèse de Lavaur, avec demoiselle Marguerite d’ALBIER, fille du Sieur Jean d’ALBIER, seigneur de la Serre Cambonnet et de dame Jeanne de BEAUDECOURT, de Castres, même diocèse.
Comment cette histoire est elle parvenue aux oreilles de l’intendant Jean LE NAIN, baron d’Asfeld ? Y a t’il eu une plainte d’un paroissien ? Le dossier ne le mentionne pas. Le dossier indique que l’enquête est ordonné par l’intendant du Languedoc et qu’elle est mené par son subdélégué de Nîmes, le sieur Tempié. Pour établir les faits, treize témoins vont être entendus en deux fois, les 23 et 26 novembre 1746. Ce sont :
– Antoine GUIZOT, juge et notaire royal de Quissac, âgé de 40 ans
– Françoise DESPEISSE, veuve de Nicolas RIVIERE, âgée de 55 ans, hôtesse du lieu d’Orthoux
– Jeanne DESPEISSE, 18 ans, nièce de Françoise DESPEISSE de Lunel-Viel
– Marie LANGE, native de Fournels en Lozère, âgée de 25 ans
– Jacques FERMAUD, jardinier d’Orthoux, âgé de 46 ans
– Antoine SOULIER, voiturier du Rauret
– Pierre SOULIER, voiturier du Rauret, âgé de 20 ans
– Joseph JAUJOU, voiturier du Rauret, âgé de 42 ans
– Magdeleine MOUINADE, veuve de Jean PAGES, habitant d’Orthoux âgée de 60 ans
– Françoise GARONNE, veuve PAGES, 45 ans, d’Orthoux
– Jacques GAIRAUD, meunier d’Orthoux, âgé de 50 ans
– Jacques GAIRAUD fils, meunier du Rauret, 20 ans
– Joseph JAUJOU, voiturier du Rauret, âgée de 21 ans
Le premier témoignage, celui du notaire, est un peu différent des autres témoignages. Il les a connu physiquement quelques semaines avant le mariage. Les fiancés ont demandé qu’il fasse les démarches pour l’enregistrement de leur contrat de mariage, dont les articles avaient été rédigés par Me Jean PLANES, notaire à Lescout dans le Tarn. Le contrat va être signé à la fin d’un dîner chez le sieur Jacques CRES. Les témoins du contrat, sont Pierre BRUN, curé d’Orthoux, MARTIN , prieur de Sérignac et DAUTUN, prieur de Quilhan. Invité au mariage quelques jours plus tard, le notaire ne s’y rendit pas. Il apporte un dernier élément au dossier. Le notaire a appris, du contrôleur de l’enregistrement du bureau de Sauve, que le Sieur de TERSON avait proposé au curé de Sauve de les marier, mais que devant le refus de ce dernier, ils décidèrent de s’installer à Orthoux
Les autres témoins vont raconter peu ou prou la même histoire sur ce curé et ce mariage. Au début de l’été, au moment au moment où il y avait des gerbes de grains coupées aux champs et dans les aires (entre fin juin et début août), trois personnes sont arrivés dans le village d’Orthoux. Un cavalier, âgé de quarante cinq à cinquante ans et deux dames, la mère et la fille. L’homme s’installe dans une chambre du cabaret et la loue pour une durée d’un an. Les deux femmes s’installent ailleurs, chez le Sieur Crès, consul d’Orthoux.
Que font-ils de leurs journées en attendant de pouvoir se marier ? L’enquête ne le dit pas. Pour les habitants du village, il semble évident qu’ils sont venus dans la seule intention de se marier. C’est bien ce qu’il se passe. Après 6 ou 7 mois de résidence à Orthoux, le curé BRUN bénit le mariage, mais d’après certains témoins, sans avoir dit la messe. Les deux époux repartent quelques semaines après dans leur diocèse. Le curé a bien entendu reçu des cadeaux. Pour certains, il s’agit juste deux paires de bas de laine et d’une matelote. Pour la tenancière, la plus précise, le curé aurait reçu 2 ou 3 louis d’or ou d’argent, des provisions (du bois et du cochon), 6 paires de bas de laine, une matelote de moleton. Le valet et la servante aurait aussi bénéficier des largesses du couple.
Voilà pour les faits qui semblent bien établis. Mais l’enquête s’intéresse aussi à la personnalité du curé. Qui est-il ? C’est un curé qui est né en octobre 1679. Il est dans sa soixante huitième année. Ce n’est pas jeune, surtout pour l’époque ! D’après tous les témoignages, il est loin d’avoir l’attitude d’un curé exemplaire. Il vient plusieurs soirs par semaine au cabaret de la veuve RIVIERE, non seulement pour manger, mais aussi pour boire, pour danser et jouer une bonne partie de la nuit. Il vient aussi les dimanches et les jours de fêtes après avoir dit la messe. La tenancière raconte que « sa conduite scandalise toute la paroisse, non seulement par rapport à tout ce qu’il fait au cabaret mais encore par toutes les paroles sales, jugements et autres mauvais discours »
Dernier point intéressant des témoignages, un autre couple, un homme s’appelant LEIRIS et une femme s’appelant MARGOTON, âgés tous deux de 25 ans, venant de la même région, sont venus s’installer dans le village, et ils louent les mêmes logements que Guillaume TERSON et Marguerite d’ALBIER. Ils sont aussi venus dans le but de se marier.
Le curé est t’il corrompu ? Existe t’il une filière permettant aux Nouveaux Convertis de se marier ?
Avec ces témoignages, l’intendant décide le 7 décembre, de faire arrêter le curé et de l’enfermer dans la prison du Fort de Nîmes. L’arrestation se fera la nuit du 24 au 25 décembre. Il va être interroger par le subdélégué de l’intendant de Nîmes. Il plaide la bonne foi et l’ignorance de certains textes. Il raconte que les fiancés lui avaient avoués qu’ils étaient protestants, mais qu’ils avaient l’intention de vivre et de mourir dans la foi catholique. Il les avait instruit dans la religion et déclare qu’ils étaient assidus aux exercices de la la religion et qu’ils allaient à confesse. Ayant écrit au grand vicaire de Nîmes pour avoir la permission de publier les bans, ils l’obtinrent. Il les maria donc et déclare qu’après le mariage, ils restèrent assidus aux exercices de la religion. Il déclare avoir reçu la somme de 48 livres du marié et une paire de bas tricotée par la mère de la mariée. Il affirme ne pas savoir qu’il fallait un an de résidence pour pouvoir marier des gens qui n’étaient pas de sa paroisse et qu’il n’avait pas connaissance des édits et déclaration du Roi sur ce sujet … ainsi que les règles de mariage de l’église !
On peut douter de la version de ce vieux curé. Qu’il ignore les règles de l’Église sur le mariage, alors qu’il a probablement célébré des centaines de mariage dans sa carrière, semble fort improbable.
Maintenant, que risque le curé BRUN pour ne pas avoir célébré dans les formes prescrites ce mariage ? L’édit de mars 1697 précise que les « curés ou prêtres, tant séculiers que réguliers, célèbrent ci après, sciemment & avec connaissance de cause, des mariages entre des personnes qui ne sont pas effectivement de leur paroisse, sans en avoir la permission par écrit des curés de ceux qui les contractent, ou de l’Archevêque ou Évêque diocésain, il soit procédé contre eux extraordinairement ; & qu’outre les peines canoniques que les juges d’Église pourront prononcer contre eux, lesdits curés et autres prêtres, tant séculiers que réguliers qui auront des Bénéfices soient privés, pour la première fois de la jouissance de tous les revenus de leurs cures et bénéfices pendant trois ans, à la réserve de ce qui est absolument nécessaire pour leur subsistance, ce qui ne pourra excéder la somme de six cents livres dans les plus grandes villes, & celle de trois cents livres dans les autres »
Il risque donc trois ans de suspension. Après l’étude de son cas par les autorités, il va être libéré le 9 mars 1747. Il démissionne immédiatement de sa cure et il est condamné au paiement de 196 livres et 1 sol en faveur du concierge de la prison. Nul doute qu’à l’âge de 68 ans, passer deux mois et demi en prison au cœur de l’hiver 1747 n’a pas du améliorer sa santé. Est-il reparti dans son village natale de Sauclières chez un neveu ou une nièce ? Ou chez un de ses anciens paroissiens ? Nul ne le sait, mais avec cette affaire, la carrière de notre curé s’est achevée.
A travers cette procédure judiciaire, on découvre un moyen de lutte des protestants pour pouvoir se marier, en évitant au maximum, les curés de leurs paroisses un peu trop intrusifs. Cela impliquait de partir des mois, loin de leurs domiciles et cela ne pouvait être réservé qu’à une petite élite. Mais visiblement, il pouvait compter sur des réseaux. Dans la procédure, on cite un marchand de Quissac s’appelant JAC qui connaissait de TERSON et qui connaissait le sieur LEIRIS. Les hébergeurs sont les mêmes et trouvent un intérêt à héberger ces gens. Et les complicités sont peut-être au sein de l’église ; des curés et des vicaires qui n’étaient pas dupes de ces mariages. Peut-être même y avait il des complicités au sein des évêchés. Le curé mentionne l’autorisation de se marier. Est-ce un mensonge du curé ? Ou le grand vicaire a t’il réellement donné son autorisation ? On peut se poser la question.
Frédéric DELEUZE, Généalogiste – cfd@genealogiste.com.fr
L’article est rédigé sur la base du dossier conservé aux AD Hérault – C 224