Un drôle de curé

Dans le nuit du 24 au 25 décembre 1746, Pierre BRUN, curé d’Orthoux est arrêté et emprisonné dans la prison du fort de Nîmes. Il est accusé d’avoir contrevenu à l’édit de mars 1697, aux déclarations du Roi du 15 juin 1697 et du 14 mai 1724 (notamment l’article 15) ainsi que l’ordonnance du 18 novembre 1745 sur les mariages des Nouveaux Convertis.

Ce qui attire l’attention des autorités, c’est le mariage en février 1746 de deux nouveaux convertis, le sieur Guillaume TERSON de LASSALLE fils de noble Abel de TERSON, seigneur de Paleville, et de dame Marie de la BROUE de Soreze, diocèse de Lavaur, avec demoiselle Marguerite d’ALBIER, fille du Sieur Jean d’ALBIER, seigneur de la Serre Cambonnet et de dame Jeanne de BEAUDECOURT, de Castres, même diocèse.

Comment cette histoire est elle parvenue aux oreilles de l’intendant Jean LE NAIN, baron d’Asfeld ? Y a t’il eu une plainte d’un paroissien ? Le dossier ne le mentionne pas. Le dossier indique que l’enquête est ordonné par l’intendant du Languedoc et qu’elle est mené par son subdélégué de Nîmes, le sieur Tempié. Pour établir les faits, treize témoins vont être entendus en deux fois, les 23 et 26 novembre 1746. Ce sont :

– Antoine GUIZOT, juge et notaire royal de Quissac, âgé de 40 ans

– Françoise DESPEISSE, veuve de Nicolas RIVIERE, âgée de 55 ans, hôtesse du lieu d’Orthoux

– Jeanne DESPEISSE, 18 ans, nièce de Françoise DESPEISSE de Lunel-Viel

– Marie LANGE, native de Fournels en Lozère, âgée de 25 ans

– Jacques FERMAUD, jardinier d’Orthoux, âgé de 46 ans

– Antoine SOULIER, voiturier du Rauret

– Pierre SOULIER, voiturier du Rauret, âgé de 20 ans

– Joseph JAUJOU, voiturier du Rauret, âgé de 42 ans

– Magdeleine MOUINADE, veuve de Jean PAGES, habitant d’Orthoux âgée de 60 ans

– Françoise GARONNE, veuve PAGES, 45 ans, d’Orthoux

– Jacques GAIRAUD, meunier d’Orthoux, âgé de 50 ans

– Jacques GAIRAUD fils, meunier du Rauret, 20 ans

– Joseph JAUJOU, voiturier du Rauret, âgée de 21 ans

Le premier témoignage, celui du notaire, est un peu différent des autres témoignages. Il les a connu physiquement quelques semaines avant le mariage. Les fiancés ont demandé qu’il fasse les démarches pour l’enregistrement de leur contrat de mariage, dont les articles avaient été rédigés par Me Jean PLANES, notaire à Lescout dans le Tarn. Le contrat va être signé à la fin d’un dîner chez le sieur Jacques CRES. Les témoins du contrat, sont Pierre BRUN, curé d’Orthoux, MARTIN , prieur de Sérignac et DAUTUN, prieur de Quilhan. Invité au mariage quelques jours plus tard, le notaire ne s’y rendit pas. Il apporte un dernier élément au dossier. Le notaire a appris, du contrôleur de l’enregistrement du bureau de Sauve, que le Sieur de TERSON avait proposé au curé de Sauve de les marier, mais que devant le refus de ce dernier, ils décidèrent de s’installer à Orthoux

Les autres témoins vont raconter peu ou prou la même histoire sur ce curé et ce mariage. Au début de l’été, au moment au moment où il y avait des gerbes de grains coupées aux champs et dans les aires (entre fin juin et début août), trois personnes sont arrivés dans le village d’Orthoux. Un cavalier, âgé de quarante cinq à cinquante ans et deux dames, la mère et la fille. L’homme s’installe dans une chambre du cabaret et la loue pour une durée d’un an. Les deux femmes s’installent ailleurs, chez le Sieur Crès, consul d’Orthoux.

Que font-ils de leurs journées en attendant de pouvoir se marier ? L’enquête ne le dit pas. Pour les habitants du village, il semble évident qu’ils sont venus dans la seule intention de se marier. C’est bien ce qu’il se passe. Après 6 ou 7 mois de résidence à Orthoux, le curé BRUN bénit le mariage, mais d’après certains témoins, sans avoir dit la messe. Les deux époux repartent quelques semaines après dans leur diocèse. Le curé a bien entendu reçu des cadeaux. Pour certains, il s’agit juste deux paires de bas de laine et d’une matelote. Pour la tenancière, la plus précise, le curé aurait reçu 2 ou 3 louis d’or ou d’argent, des provisions (du bois et du cochon), 6 paires de bas de laine, une matelote de moleton. Le valet et la servante aurait aussi bénéficier des largesses du couple.

Voilà pour les faits qui semblent bien établis. Mais l’enquête s’intéresse aussi à la personnalité du curé. Qui est-il ? C’est un curé qui est né en octobre 1679. Il est dans sa soixante huitième année. Ce n’est pas jeune, surtout pour l’époque ! D’après tous les témoignages, il est loin d’avoir l’attitude d’un curé exemplaire. Il vient plusieurs soirs par semaine au cabaret de la veuve RIVIERE, non seulement pour manger, mais aussi pour boire, pour danser et jouer une bonne partie de la nuit. Il vient aussi les dimanches et les jours de fêtes après avoir dit la messe. La tenancière raconte que « sa conduite scandalise toute la paroisse, non seulement par rapport à tout ce qu’il fait au cabaret mais encore par toutes les paroles sales, jugements et autres mauvais discours »

Curé d'Orthoux

Dernier point intéressant des témoignages, un autre couple, un homme s’appelant LEIRIS et une femme s’appelant MARGOTON, âgés tous deux de 25 ans, venant de la même région, sont venus s’installer dans le village, et ils louent les mêmes logements que Guillaume TERSON et Marguerite d’ALBIER. Ils sont aussi venus dans le but de se marier.

Le curé est t’il corrompu ? Existe t’il une filière permettant aux Nouveaux Convertis de se marier ?

Avec ces témoignages, l’intendant décide le 7 décembre, de faire arrêter le curé et de l’enfermer dans la prison du Fort de Nîmes. L’arrestation se fera la nuit du 24 au 25 décembre. Il va être interroger par le subdélégué de l’intendant de Nîmes. Il plaide la bonne foi et l’ignorance de certains textes. Il raconte que les fiancés lui avaient avoués qu’ils étaient protestants, mais qu’ils avaient l’intention de vivre et de mourir dans la foi catholique. Il les avait instruit dans la religion et déclare qu’ils étaient assidus aux exercices de la la religion et qu’ils allaient à confesse. Ayant écrit au grand vicaire de Nîmes pour avoir la permission de publier les bans, ils l’obtinrent. Il les maria donc et déclare qu’après le mariage, ils restèrent assidus aux exercices de la religion. Il déclare avoir reçu la somme de 48 livres du marié et une paire de bas tricotée par la mère de la mariée. Il affirme ne pas savoir qu’il fallait un an de résidence pour pouvoir marier des gens qui n’étaient pas de sa paroisse et qu’il n’avait pas connaissance des édits et déclaration du Roi sur ce sujet … ainsi que les règles de mariage de l’église !

On peut douter de la version de ce vieux curé. Qu’il ignore les règles de l’Église sur le mariage, alors qu’il a probablement célébré des centaines de mariage dans sa carrière, semble fort improbable.

Maintenant, que risque le curé BRUN pour ne pas avoir célébré dans les formes prescrites ce mariage ? L’édit de mars 1697 précise que les « curés ou prêtres, tant séculiers que réguliers, célèbrent ci après, sciemment & avec connaissance de cause, des mariages entre des personnes qui ne sont pas effectivement de leur paroisse, sans en avoir la permission par écrit des curés de ceux qui les contractent, ou de l’Archevêque ou Évêque diocésain, il soit procédé contre eux extraordinairement ; & qu’outre les peines canoniques que les juges d’Église pourront prononcer contre eux, lesdits curés et autres prêtres, tant séculiers que réguliers qui auront des Bénéfices soient privés, pour la première fois de la jouissance de tous les revenus de leurs cures et bénéfices pendant trois ans, à la réserve de ce qui est absolument nécessaire pour leur subsistance, ce qui ne pourra excéder la somme de six cents livres dans les plus grandes villes, & celle de trois cents livres dans les autres »

Il risque donc trois ans de suspension. Après l’étude de son cas par les autorités, il va être libéré le 9 mars 1747. Il démissionne immédiatement de sa cure et il est condamné au paiement de 196 livres et 1 sol en faveur du concierge de la prison. Nul doute qu’à l’âge de 68 ans, passer deux mois et demi en prison au cœur de l’hiver 1747 n’a pas du améliorer sa santé. Est-il reparti dans son village natale de Sauclières chez un neveu ou une nièce ? Ou chez un de ses anciens paroissiens ? Nul ne le sait, mais avec cette affaire, la carrière de notre curé s’est achevée.

A travers cette procédure judiciaire, on découvre un moyen de lutte des protestants pour pouvoir se marier, en évitant au maximum, les curés de leurs paroisses un peu trop intrusifs. Cela impliquait de partir des mois, loin de leurs domiciles et cela ne pouvait être réservé qu’à une petite élite. Mais visiblement, il pouvait compter sur des réseaux. Dans la procédure, on cite un marchand de Quissac s’appelant JAC qui connaissait de TERSON et qui connaissait le sieur LEIRIS. Les hébergeurs sont les mêmes et trouvent un intérêt à héberger ces gens. Et les complicités sont peut-être au sein de l’église ; des curés et des vicaires qui n’étaient pas dupes de ces mariages. Peut-être même y avait il des complicités au sein des évêchés. Le curé mentionne l’autorisation de se marier. Est-ce un mensonge du curé ? Ou le grand vicaire a t’il réellement donné son autorisation ? On peut se poser la question.

Frédéric DELEUZE, Généalogiste – cfd@genealogiste.com.fr

L’article est rédigé sur la base du dossier conservé aux AD Hérault – C 224

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Marsillargues et la Révocation

Conférence du 19 mars 2016 aux XVèmes rencontres généalogiques de Mauguio

Thème :

La conférence devait être une analyse de la correspondance d’un couple de Marsillargues de 1685 à 1688. La situation : la femme est restée à Marsillargues et gère les biens de la famille. L’homme est parti en exil pour vivre sa foi et est finalement revenu de l’étranger. Malheureusement, je n’ai pu avoir accès à la copie de cette correspondance inédite des historiens. Le sujet va donc être plus général et porté sur l’attitude des protestants de Marsillargues au moment de la Révocation à travers quelques documents.

Le protestantisme à Marsillargues

Si Marsillargues est actuellement une commune de l’Hérault, au bord du Vidourle marquant la limite avec le Gard, sous l’ancien Régime, la ville dépend de l’évêché de Nîmes. Si on recherche des documents dans les séries G, il faudra donc se rendre aux archives départementales du Gard. Le protestantisme apparaît à Marsillargues en 1561 lorsque 20 hommes déclarent s’émanciper de la foi catholique. Très vite, l’ensemble de la ville se convertit à l’exception notable du seigneur. L’édit de pacification de Nantes d’avril 1598 peut être paradoxal à Marsillargues, puisque le culte catholique qui n’était plus célébré, est rétabli. Il y a de nouveau un prêtre pour les 20 % de Marsillarguois qui sont restés fidèle au catholicisme. Le protestantisme va rester vivace dans cette paroisse. Dans les registres paroissiaux, on trouve plus de 10 plus de baptêmes protestants que de baptêmes catholiques. On trouve même quelques conversions au calvinisme. Dans l’autre sens, les abjurations sont rares. On en trouve une en 1656 et une en 1657.

Une politique royale qui se durcit

A partir de 1660, la politique royale se durcit. Il y a deux temps :

  • 1660 – 1679: Phase de conversion douce : on détruit les temples qui ont été construit sans autorisation. On applique de plus en plus strictement les textes sur les religionnaires. On interdit au Régent des écoles l’enseignement de la bible
  •  1679-1685: Les mesures se durcissent : on exclut les protestants de certains offices comme ceux de consuls. On les exclut de certaines professions. Et on arrive asse vite à la mesure ultime des dragonnades.

Les dragons sont des régiments qui se déplacent à cheval mais qui combattent à pied. Les régiments ont été créés en 1668. Les dragonnades, c’est le logement des gens de guerre chez des particuliers, avec une priorité chez les protestants. Le principe n’est pas nouveau. En 1627, les protestants d’Aubenas doivent loger des soldats. En 1675, pour mater une révolte bretonne, on fait loger des soldats chez les habitants.

L’intendant Marillac reprend le principe en Poitou en 1681. En quelques semaines, il obtient près de 40000 conversions. Les autorités hésitent à généraliser le système. Colbert a peur d’une émigration et donc d’une perte de richesses pour le royaume. Mais il meurt en 1683. Et le principe est repris au printemps 1685 en Béarn par l’intendant Foucault. 22000 conversions en quelques semaines. Le roi donne finalement son accord pour la généralisation du procédé. Les rumeurs courent et la peur se répand dans les communautés protestantes.

Les abjurations à Marsillargues

Dans les registres paroissiaux, on va trouver 1043 conversions en 1685 sur une population de 1100 protestants. Le 3 octobre, il y a 140 conversions et deux jours plus tard, c’est 507 abjurations. On peut cependant noter que si 60% des hommes et 35 % des femmes savent signer, très peu signent leurs actes d’abjuration, témoignant d’une forme de résistance à la contrainte qui leur est imposé. Si les témoignages, comme ceux du notaire Jean VALAT du Vigan ont montré la violence employée par les soldats, on peut supposer que certains se sont probablement comportés de manière très compassionnelle. On trouve dans les registres paroissiaux du Vigan des abjurations très particulières comme celui de Louis RANDON

«  L’an 1686 et le 4ème du mois de juillet, sieur Louis RANDON, de la ville du Vigan au diocèse de Nîmes, dragon du Régiment de Firmacon dans la compagnie de Monsieur de Boisvert a fait abjuration de l’hérésie de Calvin et fait profession publique de la religion catholique apostolique et romaine …. »

Abjuration Randon

Des Dragons étaient donc protestants ! Comment ont-ils vécu cette période où ils n’étaient que des outils pour convertir des populations ?  On peut imaginer qu’ils se comportaient moins mal que la plupart des dragons.

L’édit de Fontainebleau

Il est pris en octobre 1685. Il révoque l’édit de Nantes de 1598, l’édit de Nîmes de 1629 ainsi que toues les ordonnances prises en faveur des religionnaires. Le texte ordonne : la destruction des temples encore debout ; les rassemblements religieux y compris dans les maisons particulières et les châteaux des nobles ; la fermeture des écoles protestantes ; l’interdiction de sortir du royaume. Il permet néanmoins aux ministres qui ne veulent pas se convertir de quitter le royaume sous 15 jours. Il accorde même des facilités aux pasteurs qui veulent se reconvertir dans le droit, pour avoir des équivalences et les dispenser des trois années d’études. Il accorde aussi des pensions aux ministres et à leurs veuves. Ceux qui sont partis bénéficient d’un délai de 4 mois, à compter de la publication de l’édit pour rentrer dans le royaume et retrouver leurs biens. Passé ce délai, les biens seront confisqués. Enfin, le texte n’interdit pas la présence de protestants dans le Royaume : «  En attendant qu’il plaise à Dieu de les éclairer, ils peuvent demeurer dans les villes du royaume, y continuer leur commerce et jouir de leurs biens sans troubles … » A condition bien sûr de ne pas faire d’exercice de sa religion, ni de s’assembler !! Un traitement un peu meilleur que le traitement accordé aux juifs, qui officiellement, n’ont pas le droit de résider dans le royaume de France.

Les réactions à Marsillargues

La plupart des Marsillarguois vont rester et subir les vexations quotidiennes des autorités. La tentation de l’exil va néanmoins être tentante pour bon nombre d’entre eux. On trouve aux archives départementales de l’Hérault, des listes de fugitifs pour le diocèse de Nîmes(1).DSCF4561

En nombre total de fugitifs, derrière Nîmes avec 169 fugitifs, se trouve la ville de Marsillargues avec 160 fugitifs. Cela représente environ 15% de la population réformée de la ville. C’est la proportion la plus importante des paroisses de la région. Derrière, on trouve Sommières avec 136 fugitifs, puis Vauvert, avec 93 fugitifs …  Quelles informations trouvons nous dans ces listes ? Elles sont divisées en quatre colonnes. La première avec le nom et prénom du fugitif, la mention de sa femme et du nombre d’enfants. Parfois, ce n’est pas très précis. On trouve la veuve de Léonard BRUN et sa fille. La seconde liste, c’est le nom de la personne qui gère les biens des fugitifs : père, mère, conjoint, gendre, beau-frère, cousins … et la mention s’il est un Nouveau Catholique et s’il remplit bien son devoir de catholique. La troisième, c’est le lien de parenté avec les fugitifs, et la dernière, le lieu d’habitation. Parfois, cela peut donner des informations inédites sur le plan généalogique. Ainsi à Nîmes, on découvre qu’un BONNEVAL est lié par mariage un de FONTFREDE dont le mariage est introuvable.

Les biens des fugitifs

L’édit de Fontainebleau et d’autres édits sur les protestants prévoient la confiscation des biens des fugitifs. Si ces listes de fugitifs mentionnent les noms de ceux qui gèrent le patrimoine de ceux qui sont partis, c’est pour mieux les surveiller. Et parfois, on trouve des documents encore plus précis, puisqu’on trouve dans les archives de l’intendance, des mises sous séquestre de biens. On en trouve 8 pour Marsillargues :

  • un BERNARD, fils de Pierre BERNARD, tailleur (prénom inconnu)
  • Jean ROUVIERE vieux et sa fille.
  • OLIVIER fils de Claude OLIVIER (prénom inconnu).
  • Marc GONIN, tailleur sa femme et son fils.
  • SOULIER, fils aîné de François SOULIER vieux (prénom inconnu).
  • Sieur Pierre BARBUT, bourgeois.
  • Jacques JEAN, fils de David JEAN.
  • Abdias BOURRELY.  DSCF8620                              Les biens de ces 8 fugitifs sont « séquestrés à la diligence de Pierre Duchesne, adjudicataire général des biens des fugitifs« . Ces actes datent de 1718, près de 30 ans après la liste des fugitifs, réalisée peu après la Révocation. Sur les 8 noms, 4 sont déjà sur la liste des fugitifs. Les 4 autres ont-ils été oublié sur la liste des fugitifs? Ou sont-ils les enfants de protestants restés à Marsillargues ? Il faudrait faire une étude plus poussée pour le découvrir.

La tentation du retour

On a tendance à croire que les gens ne revenaient pas. En fait, les fugitifs faisaient parfois des allers-retours entre leur terre natale et la terre de refuge. Certains restaient discrètement quelques mois, le temps de gérer leurs affaires. D’autres restes un peu plus longtemps. On peut citer le cas de Pierre GARAGNON qui reste huit ans à Courtaison avant de repartir dans son pays d’accueil. A Marsillargues, on découvre qu’Abdias BOURRELY serait revenus d’exil sans permission et que l’intendant séquestre ses biens.   Est-il resté définitivement ? Difficile à dire.

Ceux qui sortent du royaume, on l’espoir de revenir très vite. En 1689, des Vaudois retournent de force dans leurs vallées. Les autres espèrent que les puissances alliées vont faire pression pour le rétablissement de l’édit de Nantes. Mais le traité de Rijwijk de 1697 met fin aux espoirs. Certains exilés  partent loin et n’ont plus l’intention de revenir. Ainsi en 1726, François GUILLAUME, d’après certaines sources originaires d’Aimargues ou de Saint-Laurent d’Aigouze, arrive en Afrique du Sud avec sa femme et ses quatre enfants … tous nés à Berlin. Néanmoins, la question du retour reste prégnante. A la fin du 18ème, quelques descendants d’émigrés, comme James Alexandre POURTALES, né à Neuchâtel, devient français … comme le publiciste Benjamin CONSTANT. Mais ceux qui, à l’intérieur du royaume croyaient à une volonté de retour sont déçus. Avec les années, les fugitifs sont devenus pleinement suisses, Anglais, hollandais ou Prussiens. La Prusse a accordé la nationalité prussienne en 1707.

Je termine ce court exposé sur un petit billet que j’ai trouvé dans un registre notarial de la région de Genolhac de 1690. Ces quelques mots donnent de la chair, donne une âme  à nos ancêtres. Le témoignage des espoirs d’une population … et de son désespoir !

billet protestant

(1) Les noms des fugitifs de Marsillargues et des villes et village de la région, ont été intégrés à ma liste des familles étudiées. Vous pouvez la consulter sur mon site http://www.genealogiste.com.fr/familles/ ou me contacter par mail cfd@genealogiste.com.fr

Si vous avez des difficultés dans vos recherches généalogiques et historiques, vous pouvez consulter mon nouveau site http://www.aidegenealogique.fr

Les protestants de l’île Bourbon

Lors d’une recherche aux archives départementales de la Réunion en 2008, j’ai trouvé un document qui m’a intrigué. Il s’agit d’une liste de protestants « existant à l’ile Bourbon en 1789 » (AD 974 – L 300).
Une toute petite minorité
Cette liste a été dressée par le dernier intendant de l’île Bourbon. Elle comprend une centaine de noms. Était-elle exhaustive ? C’est difficile de le dire. Il n’y a souvent que des noms de famille et assez peu de prénoms ou d’indications matrimoniales. Ce ne sont donc probablement pas les protestants de l’ile, qui sont venus dire à l’Intendant, qu’ils étaient calvinistes. C’est plutôt une liste dressée par des services administratifs. Combien de noms sont manquants ? C’est difficile à dire. Maintenant que représentent ces protestants dans la population de la Réunion ? La proportion par rapport à la population totale est infime. En 1788, la population se composait de 9000 blancs ou libres et de 38000 esclaves. C’est donc à peine 1% de la population libre de l’île Bourbon. J’ai aussitôt cherché à en savoir plus. Y avait-il d’autres documents sur les protestants de l’île et leur venue dans les Mascareignes ? Le guide de recherches biographiques et généalogiques sur les familles protestantes mentionne que l’on peut trouver quelques abjurations dans les registres paroissiaux ainsi que quelques déclarations consécutives à l’édit de Tolérance. Très peu de documents donc. Pourtant, les protestants ont probablement été présents dans les Mascareignes dès le début du 17ème siècle.
Quelques projets utopiques
Aux Mascareignes (Réunion, Maurice et Rodrigues), il n’y eut pas de déportation de protestants, contrairement aux Antilles. Le marquis Henri DUQUESNE (le fils du grand marin Abraham DUQUESNE, vainqueur de Ruyter en 1676) fit un projet d’établir sur l’île Bourbon, une république huguenote. Mais il ne fit rien de concret. Un huguenot français réfugié en Hollande, François LEGUAT, fit lui, une véritable tentative de colonisation. Il partit sur un bateau avec quelques compagnons, et après quelques pérégrinations, s’installa sur l’ile déserte de Rodrigues. Ils attendirent en vain, les nouvelles promises par les Réformés qui devaient les rejoindre pour y créer une colonie. Après deux ans, ils construisent un bateau et, après une navigation hasardeuse, atteignent l’ile Maurice. De retour en Europe, François LEGUAT publiera le récit de son voyage (disponible sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k862029 ). Cette aventure fut donc sans lendemain.
Les premiers protestants de l’ile
Les protestants de la Réunion de 1789 sont des gens, ou des descendants d’une population, venus individuellement entre 1660 et 1790. Les premiers sont peut-être des colons venus de Fort-Dauphin à Madagascar. On sait que Jacques Pronis, administrateur de la colonie malgache de 1642 à 1649, était un protestant et qu’il s’appuyait sur des colons de la même confession, pour mener à bien sa politique de colonisation. Lorsqu’en 1674, Fort-Dauphin est évacué, on peut supposer que quelques-uns des réfugiés étaient calvinistes.
Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV en 1715, la Réunion accueille aussi de nombreux forbans qui profitent d’amnisties royales pour retrouver une vie plus stable et moins aventureuse. Cette population n’est numériquement pas négligeable. Elle compose entre un tiers et la moitié de la population de l’île au début du 18ème siècle. Parmi eux, il y a des marins anglais ou hollandais. Certes, ils n’étaient pas tous protestants, mais on peut penser qu’ils ont été à la base de la petite minorité protestante de la Réunion.
Ils ont probablement été rejoints, tout au long du 18ème siècle, par des marins de diverses nationalités, faisant escale dans l’ile, ou par des commerçants venus de France et désirant profiter d’opportunités commerciales dans la région pour s’enrichir.
Le faible contrôle religieux de l’église catholique sur la population
Il faut dire que les premiers protestants de la région ne devaient pas être soumis à un contrôle strict des autorités royales. Il n’y avait pas de régiments de dragons pour forcer les protestants à abjurer et l’église catholique n’a que très peu de moyens pour évangéliser les protestants. Au début, le service religieux catholique est assuré épisodiquement par les aumôniers des bateaux de passage dans l’ile et des missionnaires lazaristes faisant escale dans l’ile. De 1676 à 1686, il n’y a qu’un seul prêtre sur l’ile, le père Bernardin. Des conflits éclatent entre les successeurs de l’abbé Bernardin et les gouverneurs de l’ile. L’abbé Carmenhem se retrouve en prison. C’est en 1712 que la Compagnie des Indes va trouver un accord. L’ile va être rattachée à l’archevêché de Paris et ce sont les pères lazaristes qui vont fournir un clergé un peu plus stable. L’encadrement restera néanmoins très insuffisant. En 1763, il y a 13 prêtres et en 1789, il n’en reste que 11.

Et les administrés ne semble guère se préoccuper de leur salut. Les rapports disent qu’ils ne vont à la messe que pour paraître. S’ils font baptisés leurs enfants et se marient à l’église, ce n’est qu’une religiosité de façade. Les paroissiens se moquent totalement des sermons et refusent les règles morales que voudraient imposer le clergé. Avant la Révolution, tous les rapports dénoncent le libertinage des paroissiens, leur paresse voir leurs perversions sexuelles, au point que des chefs militaires redoutent l’escale de Bourbon car ils se disent préoccupés d’éviter à leurs troupes les pièges du libertinage.
Si la compagnie des Indes qui dirige l’ile, a trouvé un accord pour la direction spirituelle des paroissiens, il n’en demeure pas moins que la compagnie des Indes est une compagnie commerciale et que son objectif prioritaire, c’est être rentable et de faire des bénéfices. L’objectif politique de l’unité religieuse du royaume ne doit guère préoccupé les gouverneurs de l’île et les conflits avec les curés sont fréquents. A partir du moment où les colons travaillent bien et mettent en valeur leurs concessions et que les commerçants enrichissaient bien la colonie, les administrateurs de la compagnie ne devaient certainement pas prendre le risque de braquer leurs administrés.
Dans ce contexte politique, religieux et administratifs, tout au long du 18ème siècle, des protestants ont pu vivre leur foi malgré l’absence de pasteurs. Cette pratique discrète n’était probablement pas totalement inconnue des autorités. Elle était simplement tolérée.

Frédéric DELEUZE – cfd@genealogiste.com.frhttps://www.facebook.com/CFD.Genealogie

Les noms des protestants ont été intégrés à ma base de données. Vous pouvez les retrouver sur http://www.genealogiste.com.fr/familles.htm

 

L’édit de Tolérance (2ème partie)

Les déclarations

Quelles sont les conséquences de cet édit ? Dans les archives, nous trouvons des documents d’un grand intérêt généalogique. Il s’agit des déclarations consécutives à l’édit de Tolérance découlant de l’article XXI. Les mariages anciens qui seront enregistrés dans le délai d’un an après la publication de l’édit, obtiendront « pour eux et leurs enfants la jouissance de tous les droits résultant de mariages légitimes » Ces déclarations sont donc des mines d’informations pour les généalogistes, car ce sont des documents de rattrapage d’un état civil absent. Un exemple de déclaration trouvée dans les registres paroissiaux de la commune de Roquedur dans le Gard « … Jean Fourcoual, travailleur fils légitime d’autre feu Jean Fourcoual et de Jeanne Toulouse, originaire du Pouget, paroisse de Sumène, habitant de Lasalle, paroisse de Roquedur et Marguerite Severac, fille de Jean-François Severac et de Marguerite Capion, originaire du Fraissinet, paroisse du Vigan, contrat de mariage reçu par Me Fesquet, notaire de Sumène. De cette union, ils ont eu neuf enfants dont deux garçons : Jean, fabricant de bas, né le 12 août 1764, marié il y a environ deux ans à Jeanne Julien de la ville du Vigan … » S’ensuit la liste complète des enfants avec leur date de naissance. Ces déclarations sont des documents précieux pour les généalogistes. Nous y trouvons les lieux de naissance de la mère du déclarant, celle de son épouse, la date du contrat de mariage avec le nom du notaire, la liste des enfants issus de ce mariage avec leur conjoint s’ils sont mariés. Ces actes apportent donc un plus par rapport aux familles catholiques, et sur le plan de leur intérêt, on pourrait les comparer à des déclarations de successions actuelles. Ces déclarations se trouvent dans les registres paroissiaux lorsque les curés ont accepté d’enregistrer ces actes.

Un état civil moderne ?

Préfiguration de l’état civil moderne, l’édit prévoit le cas ou, soit les parties ne veulent pas s’adresser aux curés et vicaires, soit ces derniers refuseraient d’enregistrer ces actes. Dans cette configuration, ce sont les juges et officiers locaux qui sont chargés de la procédure d’enregistrement et de vérification de la régularité de la procédure. Ainsi, l’article XII précise que les bans de mariage seront publiés « les jours de dimanche à la sortie de la messe paroissiale par le greffier de la justice principale du lieu en présence du Juge ou de celui qui sera par lui commis ». Le greffier est aussi chargé d’enregistrer les oppositions au mariage, de délivrer des certificats de publications ou accorder des dispenses de parenté au-delà du 3ème degré. C’est aussi devant le juge, que les parties avec leurs témoins, déclarent se prendre en mariage et qu’ils se déclarent fidélité. Ils sont aussi tenus d’enregistrer les actes de décès ainsi que les naissances, y compris pour les sectes qui ne font pas baptiser leurs enfants (les anabaptistes). Les greffiers, baillis, juges sont donc tenus d’ouvrir et de tenir de véritables registres d’état civil, et cela en double exemplaire.
Dans les régions où le protestantisme a résisté à un siècle de clandestinité, nous allons donc trouver ces registres, Ils vont être éphémères  puisque le décret du 20 septembre 1792 va créer l’état civil moderne que nous connaissons. La plupart de ces registres a été classé avec les registres paroissiaux en série E aux archives départementales et GG dans les archives municipales. Parfois, ils sont classés, avec les archives des juridictions d’Ancien Régime, en série B comme en Charente, en Lozère ou dans le Tarn. On peut aussi trouver des registres dans les séries I ou J comme en Charente, en Charente-Maritime ou dans la Vienne.

Les limites de l’édit

Les protestants ont-ils tous fait des déclarations ? C’est peu probable. Comment un paysan béarnais, un fabriquant de bas cévenol ou un petit artisan charentais pourrait-il faire confiance à des autorités qui pendant un siècle se sont acharnés à lui faire perdre sa foi ? N’est ce pas un piège du pouvoir royal ? Cette question, beaucoup de protestants se la sont probablement posée. Combien ont refusé de déclarer leur famille ? Difficile à dire.

Au niveau national, l’édit ne satisfait pas grand monde. Si malgré des remontrances, les Parlementaires enregistrent l’édit presque partout (sauf à Douai et à Besançon), les protestants ne sont guère satisfait d’un édit qui n’accordent ni la liberté de culte, ni la liberté d’accès à toutes les charges du Royaume. Ils ont certes obtenu une certaine reconnaissance et une certaine sécurité juridique pour leurs familles mais les persécutions ne cessent pas complètement, et, en mars 1789, un pasteur de Rouen, Pierre Mordant, est décrété de prise de corps par le Parlement de Rouen (il sera relaxé en mars 1791). Ce n’est donc qu’avec la Révolution que les discriminations juridiques vont véritablement cessées.

Frédéric DELEUZE – Généalogiste – cfd@genealogiste.com.frhttp://www.facebook.com/CFD.Genealogie

L’édit de Tolerance de novembre 1787 (1ère partie)

L’édit de Tolérance de novembre 1787

Le 18ème est qualifié par les historiens de siècle des Lumières. La philosophie et l’idée de la liberté de conscience et de la liberté religieuse progresse au sein des élites. Pourtant, la situation légale et règlementaire pour les non-catholiques est très difficile. Il y a bien sûr l’interdiction du culte et des assemblées, présentées comme des troubles à l’ordre public. Mais il y a aussi l’obligation de faire appel au curé pour tous les actes importants de la vie: baptêmes, mariages, pour les malades afin de recevoir l’extrême onction et pour l’obtention d’un certificat de bonne vie et de bonnes mœurs pour ceux qui veulent entreprendre des études ou exercer certaines fonctions ou profession (notaire, libraire, médecins …). Les textes les soumettent à des sanctions très dures : amendes, confiscations de biens, enlèvements des enfants pour les faire éduquer dans le catholicisme, peines de prison et condamnations aux galères pour ceux qui contreviennent aux édits et déclarations du Roi.
La répression connaît des phases d’une intensité variable. Elle est plutôt forte en période de paix et s’adoucit lorsque le royaume est en guerre contre ses voisins européens. Mais, au fur et à mesure que les décennies passent, elle tend à être moins forte. Le comte de Saint-Florentin, secrétaire d’État de la Religion Prétendue Réformée, dans une lettre à l’intendant du Languedoc en date du 30 août 1748 s’interroge sur l’efficacité de certaines mesures comme les amendes « … les remèdes que nous avons employés jusqu’à présent pour arrêter le progrès du mal que font les prédicants ne servent plus de rien dans certains cantons … la voie des amendes, bien loin de les corriger peut devenir à la fin un remède dangereux parce que les assemblées étant présentement composés de gens du peuple qui ne paye que de petites taxes, la plus grande partie de ces amendes retombent sur les notables qui ne sont pas les plus coupables … » Le Comte de Saint-Florentin n’était pas un partisan de la Tolérance mais il est contraint d’admettre que les mesures pour permettre la fiction de l’unité religieuse du royaume ne sont pas vraiment efficaces et qu’elles seraient même nuisible à la prospérité du royaume! Les condamnations deviennent donc moins nombreuses et les peines moins sévères. On commence à élargir les condamnés. En 1769, sont libérées les trois dernières prisonnières de la Tour de Constance sous l’influence du gouverneur de Languedoc, le prince de Beauvau, lié à Voltaire. En 1775, les deux derniers forçats pour la foi sortent du bagne après 30 ans passés aux galères.
Même si Louis XVI, comme ses prédécesseurs, promet de combattre l’hérésie lors du serment de son sacre, le statut des protestants, aux yeux de l’opinion publique, est de moins en moins défendable. Grâce à l’appui de l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne (qui deviendra cardinal un an plus tard), et l’appui des « américains » emmené par La Fayette (qui a promis à Washington de plaider la cause des protestants), le Roi signe un édit en Novembre 1787, qui donne une nouvelle situation juridique aux protestants.

Un nouvel Édit sur les non-catholiques

Cet édit que l’on appelle « Édit de Tolérance » s’intitule édit du Roi concernant ceux qui ne font pas profession de la religion catholique. Il est composé de 37 articles et il commence par faire le bilan de l’échec d’un siècle de politique religieuse, basé sur la fiction de l’unité « … l’espoir d’amener ses peuples à l’unité si désirable du même culte, soutenue par de trompeuses apparences de conversions, empêcha ce grand roi (Louis XIV) … ». Si cette unité peut-être une ambition légitime pour un gouvernement d’Ancien Régime, l’édit précise que cette fiction est « aujourd’hui inadmissible » aussi bien sur le plan moral que sur le plan politique. Sur le plan moral, les édits antérieurs placent les sujets dans des alternatives douloureuses : soit ils profanent les sacrements par des conversions simulées soit ils placent leur famille dans une situation juridique difficile (les enfants ne sont pas légitimes) ce qui peut aussi provoquer des discordes dans les familles. Sur le plan politique, l’exil et l’émigration de sujets non-catholiques est contraire à l’intérêt et à la prospérité du Royaume. Dernier point soulevé par le préambule de l’édit. C’est la condamnation sans fard de toute la politique répressive des derniers rois de France avec cette phrase : « … nous proscrirons avec la plus sévère attention, toutes ces voies de violence qui sont aussi contraires aux principes de la raison et de l’humanité qu’au véritable esprit du Christianisme … ». Esprit du christianisme originel ou esprit des Lumières ?

Prochain article : l’édit de Tolérance (2ème partie)

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Marie Raissiguier, une ancienne catholique devenue protestante

La plainte d’un prêtre
La répression contre les protestants est-elle efficace ? On peut en douter à la lecture d’une lettre du curé de Vabre dans le Tarn à son évêque. Il écrit le 5 octobre 1747 « Ma paroisse est un petit Genève … les nouveaux convertis font des assemblées presque toutes les semaines ». Il va se plaindre, en particulier d’un couple de sa paroisse qui ne va plus à l’église et qui a enterré un enfant de deux ans dans son jardin. Cette plainte va déboucher sur un procès qui est très intéressant sur l’échec de la politique royale de l’unité religieuse. Ce couple, c’est Jacques Miailhe et Marie Raissiguier. C’est un tisserand de 33 ans, habitant du masage du Teil à Vabre au diocèse de Castres. C’est un Nouveau Converti. Dans son interrogatoire, il répond qu’il est de la R.P.R. religion dans laquelle il est né. Il s’est néanmoins marié à l’église, et a assisté pendant quelques temps aux offices religieux. Il s’est même confessé plusieurs fois, mais après deux ans, il est revenu au protestantisme. Il avoue sans détour qu’il a assisté plusieurs fois à des assemblées et lorsque son dernier enfant est né (à la fin du mois de novembre), il est parti le faire baptiser par le sieur Costes, ministre de la R.P.R. « qu’il savait être du côté de Vabre ». Il raconte qu’ayant attendu un peu en rase campagne, le ministre passa et baptisa l’enfant près d’une haie en présence de deux témoins. Cet interrogatoire aurait du lui valoir une lourde peine, mais dans l’épais dossier de l’Intendance, on ne retrouve plus de documents sur Jacques Miailhe. A-t-il été jugé et condamné ?
Une ancienne catholique devenue protestante
En fait, les autorités vont concentrer leurs efforts contre son épouse. Marie Raissiguier est âgée de 30 ans. Son père est un ancien catholique. C’est l’un des consuls de Vabre. Elle s’est certes mariée avec un Nouveau Converti, mais elle a accompli pendant longtemps, ses devoirs de bonne catholique. Pourquoi va-t-elle faire l’objet d’une procédure judiciaire ? Elle va être accusée du crime d’apostasie en vertu de l’arrêt du conseil d’état du 27 octobre 1746. Elle va subir trois interrogatoires (sans subir la question). La première fois, elle est interrogée, le même jour que son mari le 18 décembre 1747. Elle affirme qu’elle est née d’un père Ancien Catholique et qu’il y a deux ans qu’elle a quitté la religion catholique car elle affirme qu’une femme ne peut pratiquer que la religion de son mari. Elle avoue donc qu’elle est devenue protestante, mais elle réfute toute participation à des assemblées clandestines. Le couple va rentrer chez lui, pendant que les autorités auditionnent des témoins et décident des suites de la procédure. Finalement, c’est neuf mois plus tard, que Marie Raissiguier est emprisonnée et qu’elle est interrogée une deuxième fois. Les questions sont similaires, mais les réponses sont un peu différentes. Elle confirme qu’elle professe la religion protestante et lorsqu’on lui demande la raison de son changement, elle affirme que c’est Dieu qui lui a inspiré son changement, comme le fait de ne point aller à l’église.
Condamnation d’une apostat au bannissement
Dans le troisième interrogatoire sur la sellette (petit tabouret sur lequel s’assoit l’accusé) du 6 octobre 1748, après son transfert au siège présidial de Montpellier, lorsqu’on lui demande pourquoi elle a changé de religion, elle répond que « lorsqu’elle allait à l’église catholique, elle n’entendait rien quand aux prières qui se disaient et qu’elle fut touché au contraire des prières à l’usage des protestants qu’elle entendait dire par son mari ». Les prières en latin ne correspondaient plus aux attentes religieuses de cette modeste femme et qu’elle avait besoin d’une autre spiritualité. Comme au 16ème siècle, lorsque la Réforme de Luther et Calvin connu un grand succès ! Comment les juges ont réagi dans leur conscience ? On ne peut le savoir. Par contre, ils vont prononcer la peine suivante. Marie Raissiguier est condamnée à « faire amende honorable au devant de la principale porte de l’église cathédrale de Castres, en chemise, la corde au col, ayant écriteaux devant et derrière sur lesquels sera écrit en grosses lettres ce mot APOSTAT en tenant dans ses mains une torche de cire ardente». Elle est aussi condamnée à une lourde amende pécuniaire et surtout au bannissement hors du royaume à perpétuité. Le jugement sera exécuté le 9 novembre 1748.
Malgré les efforts, l’unité religieuse, soixante après la Révocation reste fictive. Même les autorités en doutent, comme en témoigne cette lettre du 30 août 1748, du Comte de Saint-Florentin, secrétaire d’état de la Religion Prétendue réformée : « Les remèdes que nous avons employé jusqu’à présent pour arrêter le progrès du mal que font les prédicants ne servent plus à rien. Dans certains cantons, et surtout celui d’Uzès où les religionnaires s’assemblent toujours avec la même audace, les amendes bien loin de les corriger, peuvent devenir à la fin un remède dangereux »

Vers la liberté religieuse
La peine de Marie Raissiguier peut sembler lourde, surtout pour notre époque. Mais en ce milieu du 18ème siècle, la peine est plutôt légère. Il ne faut pas oublier qu’à la même époque, de l’autre côté des Pyrénées, les apostats étaient condamnés par l’Inquisition au bucher. La philosophie des Lumières commençait à influencer les élites. Le dégoût de la torture, de l’esclavage et de la peine de mort commençait à se faire sentir. Et surtout, les idées de la liberté de conscience et de la liberté religieuse perçaient. Ces idées aboutiront à l’édit de Tolérance de novembre 1787

Prochain article : l’édit de Tolérance

Frédéric DELEUZE – Généalogiste

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Estienne ILLAIRE, le destin d’un protestant pris dans une assemblée clandestine

Le 12 octobre 1686, l’intendant du Languedoc, Nicolas de LAMOIGNON de BASVILLE, prononce huit condamnations à mort. Parmi les condamnés, nous trouvons Jean ENTERRIEU et Etienne ILLAIRE un modeste serrurier du village d’Aulas dans le Gard. Ils sont condamnés «à être pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive à une potence qui pour cet effet sera dressé à la place publique dudit lieu d’Aulas ayant été par un préalable appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour la révélation des complices … ».

Quelles sont les raisons de ces condamnations ?
Dans les archives de l’Intendance du Languedoc, nous trouvons la procédure judiciaire qui aboutit à ces sentences. La lecture des interrogatoires des accusés et des témoins va nous apprendre le déroulé des faits.

Etienne ILLAIRE a été fait prisonnier dans la nuit du 6 au 7 octobre par le curé de Saint-Bresson, accompagné par quelques uns de ses paroissiens. Il portait sur lui un couteau. Il a été arrêté parce qu’il passait à travers champs pour éviter les patrouilles, mais surtout parce qu’il revenait d’une assemblée du Désert qui a très mal tournée.
Les assemblées du Désert
Entre 1660 et jusqu’à la Révocation d’octobre 1685, le pouvoir royal prend de nombreuses mesures visant à réduire la place des réformés dans la société : interdiction de certaines fonctions publiques, de métiers, fermeture et destruction des temples, plaintes des catholiques qui sont toujours traités avec beaucoup de bienveillance… Dans ce contexte répressif, Aulas, place forte du protestantisme local, devient la dernière paroisse de la région à conserver son Temple. Au cours d’une séance, le consistoire décide de prêter le Temple aux réformés des villes et villages voisins, qui n’ont plus de lieu pour célébrer leurs offices. Avec l’hébergement de deux compagnies de dragons, les réformés d’Aulas abjurent en masse et quelques uns prennent le chemin de l’exil. Parmi ceux qui abjurent, Etienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU. Il n’y a donc officiellement plus de protestants en France.
Mais si les habitants d’Aulas ont renié la foi de leurs pères, leurs cœurs restent à leur religion d’origine. Comment vivre sa foi après avoir vécu ce traumatisme ? Comment vivre sa foi alors que les pasteurs se sont convertis ou se sont exilés ?
Passé le choc de la Révocation, certains ministres sont revenus de l’exil et commencent à tenir des prêches dans des endroits reculés. C’est que l’on appelle des assemblées du Désert. Aulas, au pied de l’Aigoual, est un lien de réunion idéal. Une première assemblée est découverte le 6 août 1686. Il y a treize arrestations dont le prédicant, Antoine ROCHER qui est envoyé aux galères, conformément à l’article IV de l’édit de Révocation. Etienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU ont-ils participé à cette assemblée qui a réuni 200 personnes ? C’est probable mais c’est deux mois plus tard que l’on découvre son histoire.

Un autre prédicant tient une assemblée dans un endroit reculé, situé sur la paroisse de Roquedur. L’assistance est nombreuse. Les documents nous disent qu’il y avait 2000 personnes. Un rassemblement aussi important est connu par les autorités qui mobilisent les dragons et le curé de la paroisse catholique voisine de Saint-Bresson. Les témoignages du curé, des prisonniers et des soldats nous apprennent le déroulement de l’assemblée.
La découverte de l’assemblée
C’est un peu une opération commando qui est monté, pour surprendre d’assistance. Pour s’approcher, des soldats s’habillent en paysans. Puis, les dragons égorgent une première sentinelle. Une deuxième sentinelle est tuée. C’est une troisième sentinelle qui donne l’alerte au pasteur et à l’assistance.. S’ensuit une mêlée confuse. Des hommes tirent sur les soldats. Le capitaine des dragons est mortellement blessé d’un coup de feu. Son frère meurt quelques jours plus tard, des suites de ses blessures et un autre soldat est gravement blessé d’un coup de baïonnette. Avec ces coups de feu, l’assistance se disperse et dans l’obscurité, les soldats et les miliciens catholiques des paroisses voisines, essaient d’arrêter le plus de participants possible. Etienne ILLAIRE fait partie des hommes qui sont arrêtés.
Durant son interrogatoire, il niera avoir incité les gens à venir à cette assemblée. Il reconnaitra simplement être tombé par hasard sur cette assemblée. Deux jeunes femmes d’Aulas, dont il reconnaît que ce « sont des filles d’honneur et de probité », vont cependant témoigner qu’ Estienne ILLAIRE et Jean ENTERRIEU les ont incités à venir. Pour le juge, cela montre que les deux accusés ont eu un rôle actif dans cette assemblée.

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Les autres condamnations

Et même s’il n’y a aucun indice permettant de dire qu’ils faisaient partie de ceux qui ont tiré sur les dragons, ces témoignages suffiront pour qu’ils soient condamnés à mort après avoir été torturé pour révéler le nom de leurs complices. Cette même peine sera appliquée à des femmes d’une autre ville.
La mort de plusieurs soldats et la désobéissance aux édits du Roi expliquent la sévérité de la condamnation. Pourtant le prédicant n’incitait pas à la révolte. L’un des prisonniers, un jeune noble qui reconnaît sa participation, rapporte les propos du Ministre. Il dit à l’assistance, qu’il fallait « obéir, aller à la messe et garder dans son cœur sa religion».
Outre la pendaison, leurs biens sont « acquis et confisqués au profit de sa Majesté distrait la troisième partie pour leur femme et enfants et ont l’amende de 300 livres … au paiement des frais et dépens de justice et attendu qu’il résulte du procès que ladite assemblée a été tenu au terroir de Roquedur … que le seigneur dudit lieu soit condamné à 500 livres d’amende ».
La dureté de la répression aura des conséquences immédiates : le départ de milliers de protestants pour l’étranger (Suisse, Provinces-Unis, Angleterre…), Mais elle aura aussi des conséquences plus lointaines. Si ceux qui ont abjurés en 1685 ont fait profil bas et se sont soumis au pouvoir royal, leurs enfants se sont révoltés face à tant d’injustices, provoquant une terrible guerre civile au début du 18ème siècle. Le juge Jacques DAUDE sieur de la Coste (qui condamna Etienne ILLAIRE et ses compagnons), comme l’abbé du Chaila,  qui furent des instruments zélés du pouvoir royal et de la répression dans les Cévennes, mourront tous les deux assassinés au début du 18ème siècle.

Frédéric DELEUZE – cfd@genealogiste.com.fr

Les listes de Nouveaux Convertis et les listes d’abjurations

Les listes de Nouveaux Convertis
Pour les autorités religieuses et administratives il n’y a pas de catholiques, mais des Anciens Catholiques et des Nouveaux Convertis (N.C.). Les évêques, au cours des visites pastorales font établir des listes de Nouveaux Convertis. Elles sont souvent précises comme à Ispagnac en Lozère « … Jean MEJAN, Gabrielle d’ARNAUD sa femme, Abraham et Antoine leurs enfants, Louise D’ARNAUD, belle sœur… ». Mais parfois ce ne sont que des statistiques avec le nombre de nouveaux convertis et le nombre de réfugiés. On les trouve en série G des archives départementales.
Pour les intendants du 18ème siècle, les Nouveaux Convertis sont un souci important. En matière religieuse, leur rôle est doubles : ils font appliquer les ordonnances et les édits ; ils surveillent la population et informent le Roi de ce qui se passe dans les provinces. Il y a donc beaucoup de documents administratifs sur les religionnaires, notamment des listes de nouveaux convertis suite à des découvertes d’assemblées du Désert. Les intendants imposaient de grosses amendes à la communauté des Nouveaux Convertis lorsqu’on découvrait une de ses assemblées. Bien souvent, les intendants collaboraient avec les évêques, et excluaient de ces listes, les Nouveaux Convertis qui acceptaient les sacrements de l’Eglise catholique. Ainsi, lorsqu’en 1747, l’intendant du Languedoc impose le paiement d’une amende, à la communauté de Dions, il en exclut 8 N.C. grâce à un certificat du curé qui atteste qu’ils « ont rempli les devoirs de catholique par l’assistance aux offices divins … et par la fréquentation des sacrements et que depuis trois ans, ils ont satisfait à leur devoir pascal ».
On trouve aussi, de nombreuses listes de fugitifs. Elles recensent ceux qui sont partis à l’étranger. Elles seront surtout intéressantes pour les descendants des protestants qui ont émigré. Ces listes sont conservées dans les fonds des intendances en série C des archives départementales.
La dernière source importante pour les généalogistes, qui témoigne de l’adhésion de nos ancêtres au protestantisme, ce sont les listes d’abjuration.

Les listes d’abjurations.
Il y a toujours eu des conversions individuelles au 17ème siècle avant même la politique de Louis XIV et des conversions forcées. Ces conversions pouvaient être sincères ou pouvaient avoir des mobiles moins nobles, comme toucher une pension de caisses de conversion, ou obtenir des avantages comme obtenir un office. La plupart de ces conversions sont dispersées dans les registres de catholicité (série E). Mais on en trouve aussi dans les archives du clergé séculier et régulier. Plusieurs évêques ouvrirent dès la fin du 16ème siècle des registres d’abjuration. Mais ce sont les ordres religieux, les Récollets, et les Capucins et les maisons de la propagation de la Foi en particulier, qui firent des abjurations un objectif et ouvrirent très tôt, des registres d’abjurations. Ces documents se trouvent dans les séries G et H des archives départementales.
Mais plus impressionnant sont les abjurations massives que l’on trouve dans les documents d’archives. Dans la première partie de son règne, Louis XIV a essayé de réduire peu à peu, non seulement l’influence du protestantisme, mais la communauté elle-même. La politique a d’abord été incitative (envoi de missionnaires, pensions aux pasteurs convertis) puis répressive (amendes, fermeture et démolition des temples payés par les Réformés, interdiction d’exercer des fonctions politiques) jusqu’à la politique ultime de conversion que sont l’envoi des régiments de dragons, héberger chez les protestants. Ces soldats, ces soudards, provoquaient la panique chez protestants, et des communautés se convertirent immédiatement à l’annonce, ou simplement à la rumeur de l’arrivée d’un de ces régiments. Dans ces documents, on trouve souvent des centaines de noms, Souvent, il n’y a qu’un acte d’abjuration avec une énumération de nom et de prénoms, sans grand intérêt généalogique. Mais parfois, il y a un acte par abjuration, avec le nom, le prénom, le nom du conjoint et la liste des enfants avec leur âge.
Quelques uns, essayèrent d’éviter l’abjuration en quittant leur domicile. Cela ne réussit pas toujours car l’on trouve régulièrement des protestants qui abjurent dans un autre village que le leur.
Toutes ces sources, tous ces documents ne nous permettrons pas forcement de remonter une généalogie protestante jusqu’au 17ème siècle. Il est nécessaire de consulter d’autres sources d’archives, plus classique, comme les archives notariales.

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CFD Généalogie – Frédéric DELEUZE

Edit de Tolérance et registres du Désert

Les déclarations consécutives à l’Édit de Tolérance de 1787
Après plus d’un siècle de clandestinité et sous l’influence des philosophes, le roi Louis XVI redonne une existence légale aux protestants en signant l’édit de Tolérance de novembre 1787. Les non-catholiques (protestants et juifs) pouvaient déclarer devant le prêtre catholique de sa paroisse ou devant un juge royal, leur état civil et ainsi faire enregistrer leurs baptêmes, leurs mariages et leurs décès. Ces documents sont d’un grand intérêt pour le généalogiste. En effet, sur ces actes, le déclarant donne le nom de ses parents, le nom de son épouse et de ses beaux-parents, déclare qu’il s’est marié après avoir passé un contrat de mariage avec la date et le nom du notaire, les actes de naissance de ses enfants et leurs éventuels contrats de mariages. C’est donc une véritable reconstitution d’état civil, qui nous donne trois générations d’une famille. En général, nous trouvons ses documents dans les registres paroissiaux, du moins si le prêtre avait l’esprit ouvert et acceptait la tolérance religieuse (série E). Mais comme l’Édit l’avait permis, les juges pouvait aussi enregistrer ces déclarations (vous les trouverez en série B).
Maintenant, un édit n’a pas fait disparaître un siècle de clandestinité et de méfiance. Tous les chefs de famille n’ont pas tous déclaré leur état civil et celui de sa famille. On s’en rendit compte pendant la révolution, lorsque les autorités militaires voulurent connaître les dates de naissance des jeunes gens afin d’effectuer le tirage au sort pour l’armée. On a donc rédigé des actes de notoriété (série U des archives départementales) Et si vous ne trouvez pas votre famille dans ces déclarations, cela ne signifient pas que vos ancêtres n’ont pas embrassé le calvinisme au 16° ou au 17° siècle. Certains ont pu devenir des catholiques plus ou moins sincères, après un siècle de brimades envers les Nouveaux Convertis.
La deuxième source essentielle pour retracer l’histoire d’une généalogie protestante, c’est les registres paroissiaux et les registres du Désert.

Les registres paroissiaux et les registres du Désert.
Dès le premier synode national de 1559, les Réformés décidèrent d’enregistrer leurs baptêmes et leurs mariages. Nous trouverons donc parfois, dès la seconde moitié du 16ème siècle (1560 pour Montpellier, 1561 pour la Rochelle) des registres paroissiaux protestants qui seront tenus en continu jusqu’à la fermeture des temples et non jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Car cette Révocation ne fut pas une mesure prise brutalement. Elle n’était que l’aboutissement d’une série de mesure engagée dès 1661. On exige d’abord des preuves de l’existence du culte réformé depuis 1597. Des églises, notamment en milieu rural, ne sont pas capables de produire des titres et sont donc fermées sur décisions des Conseils royaux ou des Parlements. Puis, on prend n’importe quel prétexte pour fermer. Ainsi, le temple de Soyons dans l’Ardèche est rasé en 1682, sur le seul fondement que la ville avait été prise par les armes lors des guerres de religion, un siècle auparavant ! Plus de culte, plus de pasteurs et donc … plus de registres paroissiaux.
Mais ce n’est pas la démolition des temples qui va conduire les réformés à faire enregistrer leurs actes d’état civil à l’église catholique. Au contraire, ils préfèrent se déplacer pour se marier ou faire baptiser leurs enfants. Cela peut causer aux généalogistes, des difficultés pour retrouver les actes de nos ancêtres, car ils n’hésitaient pas à faire des dizaines, voir des centaines de kilomètres, pour être en accord avec leurs consciences. Samuel MOURS, dans un ouvrage sur le protestantisme en Vivarais et en Velay, mentionne le cas de plusieurs couples de Tence et du Chambon en Haute-Loire, qui, au printemps 1685, font bénir leur union, dans l’un des derniers temples debout, celui de Lagorce dans le sud de l’Ardèche !
Avec l’interdiction du culte protestant pendant plus d’un siècle, les attitudes des familles purent changer. Certaines devinrent de véritables catholiques, plus ou moins sincères, et le protestantisme put disparaître de certains villages, de certaines villes, voir même dans des régions où il n’était que faiblement implanté. Nous retrouverons donc tous leurs actes d’état civil dans les registres paroissiaux catholiques. Mais d’autres résistèrent et cette résistance n’est pas neutre dans une recherche généalogique. Il faut distinguer deux périodes.
La première s’étend de 1685 à 1740 environ. Les autorités (avec quelques phases de relative tolérance) appliquent durement les édits. La pression est forte et les Nouveaux Catholiques ne peuvent guère échapper au curé de sa paroisse.
Si le baptême catholique ne cause pas de réelles difficultés de conscience pour les protestants, (le rite est à peu près identique) il n’en va pas de même pour les célébrations de mariage ou les sépultures.
Dans le rite catholique, la célébration du mariage devait être précédée de la confession et de la communion. Les protestants ne pouvaient admettre ses sacrements et essayaient autant qu’ils pouvaient, d’éviter de se rendre à l’église. Les plus ardents préféraient vivre en concubinage et se contentaient de passer un contrat de mariage devant un notaire, en promettant de faire solenniser ce mariage, en face de l’église chrétienne. Promesse qui, bien sûr, n’était guère tenu !
Le plus important pour les nouveaux convertis était d’éviter de recevoir les derniers sacrements, celui de l’extrême onction. Face à ce problème, les réformés ont adopté différentes stratégies qu’il est nécessaire de comprendre avant de commencer des recherches généalogiques.
La première consistait à appeler le prêtre lorsque le défunt était déjà mort. Ainsi le décédé était inscrit sur les registres catholiques et le curé mentionnait que le défunt était mort brutalement, sans avoir reçu les sacrements. L’enregistrement du décès permettait aux enfants d’hériter légitimement des biens du défunt.
La deuxième était plus risquée. La famille ne déclarait pas le décès et enterrait clandestinement le mort. Si la pratique était découverte, le décédé pouvait, conformément aux déclarations royales de 1685 et 1686, subir le sort des relaps et pouvait être soumis au supplice de la claie. Les biens du défunt étaient confisqués. Cette législation fut laissée de côté en 1736, lorsqu’une autre déclaration du Roi prescrivit l’enregistrement des décès, de ceux, à qui la sépulture ecclésiastique étaient refusés. On trouvera donc quelques registres de permis d’inhumer aux archives. Le chercheur ne devra pas s’étonner de ne pas trouver les actes de mariage ou de sépultures dans les registres paroissiaux de la première moitié du 18ème siècle.
La seconde période s’étend de 1740 à 1787. Si la législation ne s’assouplit pas, son application est moins rigoureuse. Les pasteurs sont moins traqués par les autorités et peuvent se déplacer avec plus de sécurité. Ils tiennent ce que nous appelons les registres du Désert. Ils vont de villages en villages pour prêcher et enregistrer les actes de baptême de mariage et les sépultures. Si nous trouvons un premier registre du « Désert » tenu de 1722 à 1731 dans le Vivarais, la plupart des registres conservés commencent dans les années 1745-1755, et sont généralisés dans toutes les villes et villages qui ont résisté au pouvoir royal dans les années 1770-1775.
Ces registres que l’on trouve dans la série E des archives départementales ou GG des archives municipales, présentent l’inconvénient de concerner plusieurs communautés. Il n’est donc pas toujours facile de savoir dans quels registres nous avons le plus de chance de retrouver nos ancêtres protestants.

Vos ancêtres étaient protestants ?

Comment mener des recherches sur des ancêtres protestants ?

Si les recherches généalogiques sur des familles catholiques peuvent être parfois très faciles, les recherches sur des ancêtres protestants présentent d’indéniables difficultés.
La première difficulté résulte de la dispersion des sources. Les archives protestantes ont gravement souffert de plus d’un siècle de clandestinité et de répression. Les archives ont été très largement dispersées. Si les principaux lieux de recherche restent les dépôts d’archives départementaux et municipaux, le chercheur devra se déplacer notamment à Paris. Les archives nationales conservent dans la série TT, les documents de la Régie des biens confisqués aux églises protestantes, dans lesquels, pour prouver l’ancienneté des Temples, on envoyait les registres paroissiaux les plus anciens. Nous trouvons aussi au Service Historique de l’Armée de Terre, des documents confisqués aux pasteurs après la Révocation, ainsi que des registres d’abjurations. La Bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, a collecté depuis 150 ans, de nombreux documents isolés et des recherches approfondies sur les protestants ne peuvent faire l’impasse sur les collections de cette bibliothèque. Nous ne parlerons pas ici des documents emportés par les 200 000 religionnaires qui quittèrent le royaume de France pour des cieux plus accueillants.
La seconde difficulté provient de l’identification de nos ancêtres protestants ? Dans notre société laïque et très largement déchristianisée, il n’est pas toujours évident de savoir si nos ancêtres pratiquaient la Religion Prétendument Réformée (RPR) sous l’Ancien Régime. Il existe des traditions religieuses familiales, mais parfois elles ne sont pas rigoureusement exactes et il faut savoir, que malgré l’hostilité des deux religions, y compris jusqu’à la première guerre mondiale, les mariages entre catholiques et protestants n’étaient pas rares.

Au milieu du 16ème siècle, le protestantisme s’est introduit dans toutes les régions françaises. Mais si dans certaines régions « l’hérésie de Calvin » ne put s’implanter à cause de la réaction rapide des autorités civiles et religieuses, elle pu s’organiser, se développer et prospérer dans beaucoup d’autres régions, comme le Béarn, la Saintonge, les Cévennes, le Dauphiné, la vallée de la Loire, l’Alsace où certaines régions de Normandie. Mais il ne faut pas croire que cette implantation est homogène. En 1600, on estime que près de 25% de la population cévenole est resté catholique. Les habitants de deux villages voisins peuvent professer des religions différentes et même dans les villes dominées par les protestants, il subsiste presque toujours des catholiques. Mieux encore, une étude historique sur le village de Saint-Roman-de-Codières dans le Gard au début du 18ème siècle, montre que la moitié des mas sont habités par des Anciens Catholiques, et la moitié par des Nouveaux Catholiques. Même les familles se sont retrouvées partagées, soit par conviction religieuse, soit par souci de conserver intact, le patrimoine familial. Ce n’est donc pas, parce qu’on a des ancêtres dans des régions à forte présence protestante que l’on a des ancêtres protestants. Il y a donc une obligation de s’intéresser à l’histoire locale avant de se plonger dans la recherche de ses ancêtres au 18ème siècle. C’est seulement après cette première étape que l’on peut s’intéresser à des documents particuliers de l’histoire du protestantisme :

  • Les déclarations consécutives à l’édit de Tolérance de 1787.
  • Les registres paroissiaux et les registres du Désert.
  • Les listes des nouveaux convertis.
  • Les listes d’abjurations
  • Les registres notariaux.

Ces thèmes seront développés prochainement.

Frédéric DELEUZE, généalogiste professionnel – http://www.genealogiste.com.fr